Ce qu’on ne veut pas voir, il faut le nier !

Nous sommes tellement habitués en France, et plus largement en occident, à un regroupement des médias, disposant de moyens titanesques et concentrant l’essentiel de l’ « information », que l’on s’étonne tout d’abord d’être invité à participer à un congrès international comme journaliste indépendant. D’habitude ces symposiums sont synonymes de raouts professionnels dans lesquels les petites comme les grandes plumes soumises aux intérêts de groupes industriels et/ou financiers sont récompensées pour leur uniformisation idéologique. S’auto-congratulant de leur standardisation intellectuelle et méthodologique, se cooptant le plus souvent par affinités doctrinales, on se demande à quoi bon y assister. Surtout lorsque l’on n’est pas, par principe, du sérail. Puis, la curiosité l’emportant, les réflexes de journaliste reprennent le dessus.Ayant eu l’honneur de participer à cet événement international de premier ordre, (mais dont la presse française, fidèle à elle-même, n’a aucunement relayé l’existence !) je n’ai pu qu’être étonné de la différence de conception du journalisme entre la France et la Russie. Je devrais plutôt corriger en écrivant entre « notre bloc occidental » et le reste du Monde. Près de 300 participants venus de plus de 120 pays, 70 langues présentes, Itar-Tass n’a ménagé aucun effort ni aucune dépense pour assurer une parfaite réussite à cette rencontre exceptionnelle. Tout étant parfaitement orchestré, une voiture nous attendait à l’aéroport pour nous amener dans un hôtel réputé de Moscou donnant sur la Moskova et jouxtant le bâtiment dans lequel se déroula le sommet. Un nombre important de personnel de l’agence et de bénévoles (étudiants de l’École de Journalisme de Moscou) s’affairait pour s’assurer que rien n’entraverait notre séjour. Durant quatre jours ont alterné séances plénières et travaux sur la façon dont les médias sociaux et l’Internet affectent l’éthique du journalisme dans un monde en mutation, transformations des médias traditionnels et leur survie en fonction de la crise économique, etc… entre autres sujets pertinents. J’ai ainsi pu rencontrer et converser avec des dirigeants ou représentants d’agences de presses internationales ou nationales, professionnels de la communication, « newsmakers », diplomates et plus généralement avec des journalistes de premier plan dans le monde sur un total pied d’égalité et pleine liberté. Echangeant nos points de vue sur l’évolution de notre profession oscillant entre information responsable et nouvelle forme de propagande idéologique. Et croyez-moi, on en apprend bien plus sur l’état du Monde que bon nombre de correspondants ou envoyés dits spéciaux. Etaient de même représentés des pays n’ayant habituellement pas voix au chapitre, tels l’Ossétie, l’Abkhazie, la Transnistrie, l’Iran, le Yémen, la Corée du Nord, l’Indonésie, etc. disposant du même temps de paroles que n’importe quel autre grand pays.Comme à leur habitude, les principaux médias occidentaux (BBC, Associated Press, Reuters, etc.), dans le parfait prolongement de la politique internationale de leurs gouvernements respectifs, ont eu tendance à vouloir imposer leurs méthodes et règles journalistiques comme modèles professionnels. Mais, peut-être pour la première fois, ont-ils eu à subir des critiques ou corrections de la part de leurs collègues les plaçant devant leurs contradictions et entorses à l’éthique (attention à la fracture !). Notamment lorsqu’ils eurent à traiter d’évènements concernant leurs propres populations comme les récents mouvements sociaux en Angleterre ou aux Etats-Unis (Occupy Wall-Street, politique d’austérité en Angleterre) : blocage des communications internet et téléphoniques, manifestants présentés immédiatement comme des voyous, manifestations sociales transformées en émeutes raciales, etc. permettant de légitimer le recours à la violence et une répression immédiate. Tout cela au nom de la Démocratie et de la défense du droit à l’information, bien évidemment ! A mettre en parallèle avec ce qui se passe actuellement de par le Monde et plus particulièrement en Syrie : aspirations légitimes ou troubles à l’ordre public ? Deux visions et traitements médiatiques différents, voir partiaux par ces mêmes journalistes.Un constat s’impose : les agents d’influences privés ou publics occupent une place croissante dans les médias. Épaulés par des experts aux ordres et des journalistes peu téméraires, ils influencent avec régularité le contenu de l’information. Les journalistes préférant souvent leur idéologie « médiacratique » à la vérité et surtout la vérification. Dans une démocratie on est en droit d’attendre que la presse libre et indépendante fournisse toutes les informations susceptibles d’alimenter le débat public (corruption, problèmes sociaux, actualités internationales, etc) permettant aux citoyens de se faire une opinion et de prendre position. La réalité d’aujourd’hui est toutefois bien éloignée de cet idéal. En témoigne la chute vertigineuse des lecteurs des grands médias occidentaux au profit de nouveaux médias comme les blogs ou sites d’information sur Internet, le journalisme est en pleine débâcle. Cette déliquescence donne aux agences de lobbying de nouvelles occasions de faire la pluie et le beau temps dans les salles de rédaction. Comme le reconnaissent volontiers ceux qui le vivent indépendamment de l’intérieur, la réalité du métier se situe souvent aux antipodes de ce qu’il paraît être. Le personnel est notoirement sous-payé et surchargé de travail. Les derniers éléments actifs du personnel éditorial n’ont plus le temps d’enquêter et donc de vérifier les faits en profondeur ou sur place. Le journalisme ne repose plus que sur un journalisme superficiel et sur les dépêches des mêmes agences de presse. S’ils ne renoncent pas purement et simplement, les journalistes aux abois se résignent avec amertume à se cantonner dans le clinquant, le facile et les faits divers. Ce sommet en fut le témoignage édifiant. En une décennie la concentration des médias s’est accélérée mais nombre de nos collègues luttent pour maintenir une qualité de journalisme face à des titres ou agences qui bien que disposant de fonds colossaux, car adossés à des multinationales ou entreprises financières n’ayant rien à voir avec le métier, perdent de plus en plus souvent toute crédibilité et donc leur lectorat. Peu importe, on ne cherche plus à informer de nos jours.La société PR Newswire, présente à ce congrès, prétend depuis 40 ans être le « leader incontesté dans la diffusion des informations des entreprises, des associations et des institutions auprès des médias et du monde de la finance ». D’autres agences-conseils se spécialisent dans la diffusion auprès de la grande presse, d’articles de fond ou de tribunes libres écrits par des agents d’influences sur des sujets divers et ayant l’apparence de « vraies » infos. Dorénavant si vous faîtes parties de ces (derniers) lecteurs des grands titres de la presse française tels que le Monde ou le Figaro, vous ne les consulterez plus de la même manière. Et que dire des reportages en kit de la part des plus grandes agences, voire mêmes d’entreprises, qui sont partiellement ou intégralement repris dans des médias de référence. La diffusion des reportages « clés en main » pour la radio et la télévision est une pratique assez peu connue mais courante. Les reportages préfabriqués sont des produits aussi largement diffusés par les agences de lobbying ou officines que les communiqués de presse classiques. Les nouvelles « préfabriquées » et les « experts » imposés qui inondent nos médias sont d’une efficacité d’autant plus redoutable qu’ils permettent aux journalistes d’appuyer leurs articles sur des avis documentés en y consacrant un minimum de temps et d’énergie. Joris Luyendijk (Le Monde diplomatique) : « Nous rapportons les faits, vous décidez, d’accord. Mais nous décidons ce que vous voyez et comment vous le voyez. » (En réponse au slogan de Fox News « We report, you decide » : nous rapportons les faits, vous décidez).Fusions, rachats, et nouvelles technologies électroniques ne font qu’accélérer un peu plus l’effondrement des frontières censées séparer journalisme, publicité et relations publiques. Des dizaines de cas d’auto-censures résultent du contexte imposé par les annonceurs et de pressions afférentes… Nombre de collègues quittent alors le métier qu’ils ont choisi par vocation pour laisser la place à des thuriféraires de la communication, adeptes de « ménages » ou animations pour les entreprises, vraies serpillères en fait mais grassement rémunérées. « Pourquoi acheter un journal quand on peut acheter un journaliste ? » disait Bernard Tapie. Pour illustrer ce propos, les uniques représentants présents parmi les médias français, outre les membres de l’Agence2Presse, étaient deux membres de l’agence de communication HAVAS (dont son vice-président M. Jacques Seguela !) qui ne sont restés que le temps de l’ouverture officielle du sommet, soit moins d’une demi-heure ! Aucun autre journaliste français n’avait consenti à se déplacer. L’information internationale à couvrir certainement… ou les vacances de juillet. Laissons le mot de la fin au regretté Serge de Beketch : « Le journalisme ne permet pas de gagner sa vie. Ce qui permet de gagner sa vie c’est la prostitution journalistique. Mais c’est un autre métier. »Partageant l’avis éclairé d’Yvan Blot, La société européenne actuelle, sous direction désormais américaine, est le résultat d’une évolution autour d’idoles majeures que sont la technique, l’argent, la masse et l’ego qui a conduit à mettre en place la situation liberticide et belliciste actuelle. Voir les déclarations du général américain Wesley Clark pendant la guerre du Kossovo pour justifier le bombardement de la Serbie : les Européens doivent abandonner toute idée d’homogénéité nationale et accepter de gré ou de force le métissage et la « diversité » car c’est le sens de l’histoire. En fait, c’est le but de la politique du bloc occidental qui est d’empêcher l’homme de rester fidèle à son essence pour le rendre interchangeable, manipulable et exploitable. L’idéologie qui justifie avec une apparente générosité cette élimination de la transcendance éthique est celle des « droits de l’homme ». Ces idoles font de l’homme un esclave sans qu’il le sache, au nom se sa prétendue libéra(lisa)tion. La technique l’aliène car l’utilitarisme exacerbé rend l’homme étranger à son essence, incapable de méditation et d’authenticité. L’argent le corrompt et c’est la raison majeure de l’explosion du crime dans les pays qui se réclament le plus des droits de l’homme (record de détenus atteint de très loin par les Etats-Unis). La grande majorité des crimes est due à la recherche de l’argent à court terme et sans aucun scrupule. L’idéologie des droits de l’homme efface la conscience des devoirs, le sens de l’honneur et l’enracinement dans les communautés naturelles, notamment celles de la famille, de la patrie ou du travail. Enfin, la libération sans frein de l’ego et de ses besoins perverti l’humain et le rend prisonnier de ses propres vices et besoins (image imposée par le système médiatique). Cette déshumanisation de l’homme, présentée comme une « libération » crée une société décadente qui tend à s’autodétruire. L’actualité internationale ne fait qu’en accélérer le processus en souhaitant imposer une uniformisation sous couvert d’émancipation des peuples. La propagande éhontée n’étant que le prolongement de la politique par d’autres moyens, véritable guerre de l’information à laquelle se prêtent certains de nos confrères, précédant de peu la mise sous tutelle militaire des pays trop fragiles. Et tant pis pour les millions de dommages collatéraux ! Face à la maladie qui frappe le bloc occidental et qui le conduit à sa décadence et à sa disparition à terme, on doit opposer les valeurs qui doivent permettre de sortir de cet oubli et dépendance où nous sommes confinés. Ce que l’Occident matérialiste appelle la liberté n’en est pas une comme l’avait déjà fort bien vu Alexandre Soljenitsyne. L’homme est asservi à l’utilitarisme technique, à la cupidité déréglée, à la masse conformiste et décervelée, à son propre ego dominé par le cerveau reptilien. Cet appel à combattre pour la liberté est parfaitement symbolisé par les armes de la capitale Moscovite dans laquelle s’est justement déroulé ce sommet international et qui symbolise si bien cet appel à la conscience : Saint Georges terrassant le dragon. Il s’agit maintenant de combattre le dragon sans se laisser intoxiquer par sa propagande déshumanisante mais qui se fait de façon mensongère au nom de l’homme et de ses droits. Un homme avec des droits sans devoirs ne peut que perdre sa liberté. Il en va de même des journalistes sans conscience qui mènent à la ruine morale notre profession et sa mission première. Ce sont les oligarques qui gèrent ce système et qui seuls en profiteront. C’est pourquoi le pouvoir doit leur échapper : il doit revenir au peuple et à son bon sens servi par une authentique aristocratie du courage et de l’esprit. Elle doit se faire par la plume et l’esprit si l’on veut pouvoir éviter le fer et l’airain. Encore merci à nos confrères russes de l’agence Itar-Tass, mais aussi du monde entier, de nous avoir permis de prendre conscience que nous n’étions pas seuls à lutter dans ce sens. Guillaume TastetDirecteur-adjoint de l’Agence2Presse