M. Bricolage au Salon de l’Agriculture sous haute protection et loin des agriculteurs

Le mois de févier ne compte peut-être que 28 jours mais c’est aussi l’occasion de maintenir une tradition bien française, depuis cinquante et un ans. La campagne monte à Paris pendant une semaine au Salon de l’Agriculture, pour présenter, dans une ambiance festive, ses plus beaux spécimens, à un public toujours aussi nombreux. Cette affluence est donc l’occasion incontournable pour de nombreux personnages politiques, dont les présidents de la République, de mesurer leur popularité auprès de cette France profonde car non superficielle. Rendez-vous obligé, François Hollande est venu. Mais à 7 heures du matin, bien avant l’ouverture et en l’absence du public. La visite s’est faite entourée d’un impressionnant dispositif de sécurité pour lui permettre de déambuler entre les stands, de poser complaisamment avec des personnalités triées sur le volet et, de flatter quelques croupes en fin connaisseur, comme cette Blonde d’Aquitaine rencontrée sur un stand.

Cette visite était donc considérée à hauts risques pour ce président, élu par défaut, et qui dispose d’une légitimité bien moindre que son homologue ukrainien, tant il fédère le mécontentement des Français, de gauche comme de droite. Le “ras-le-bol” croissant des agriculteurs mais aussi de la filière agro-industrielle à l’origine des mouvements de protestations de ces derniers mois comme celle des “bonnets rouges”, du “Jour de colère” ou de la “Manif pour tous” n’ont pas incité le chef de l’Etat à demeurer trop longtemps sur place. Les rares personnes ayant eu la possibilité d’exprimer leur souhait de le voir quitter le salon, ont été évacuées manu militari, par le service d’ordre.

Si la terre ne ment pas, il existe un critère qui ne trompe guère. La profession compte l’un des taux de suicide les plus importants et une espérance de vie réduite en raison de la pénibilité du travail et des produits chimiques utilisés. La plupart des français s’imaginent que les agriculteurs gagnent bien leurs vies avec toutes les aides qu’ils reçoivent de l’Europe, qu’ils sont maîtres de leurs terres et que leur vie bucolique se résume à surveiller des animaux en regardant pousser leurs productions. C’est bien sûr, faux pour la majorité d’entre eux, car c’est un métier difficile, qui nécessite de gros investissements, où l’on ne compte guère ses heures de travail et pour lequel l’on obtient peu de reconnaissance. D’autant plus que les vols en tout genre et les agressions se multiplient, sans que les services de la gendarmerie ne puissent répondre à l’ampleur du phénomène. Vol de matériel, de carburant, de bois, de bétail ou de récolte arrivée à maturité. Trimant plus que travaillant pour nourrir leurs semblables, et souvent pour des revenus de misères, ils sont nombreux eux aussi à se sentir abandonner par l’Etat et à se retrouver étranglés tant par les banques que par un système agro-alimentaires de distribution qui les exploitent.

Comme toute corporation, le monde agricole n’est pas uniforme. Mais la majorité des paysans entend préserver un modèle agricole traditionnel mis à mal par le dumping et les normes toujours plus aberrantes de l’Union Européenne, soumise elle-même aux diktats agrochimiques. Un cas symbolique par exemple, celui de ce viticulteur bourguignon, Emmanuel Giboulot, qui exploite depuis 40 ans sa vigne en agriculture biologique et se retrouve poursuivi en correctionnelle, pour avoir refuser d’utiliser un pesticide dangereux.
La question des OGM, est depuis longtemps au cœur des discussions entre scientifiques, écologistes et producteurs, comme celle des produits phytosanitaires qui ne cessent de démontrer leur toxicité. Les scientifiques estiment qu’il convient d’attendre encore 10-20 ans pour examiner complètement l’influence des OGM sur les humains et sur l’environnement. Certaines études, qui ont déjà démontré la menace que représente à ce jour l’utilisation de bactéries pathogènes et de virus, ont convaincu la fédération de Russie d’interdire les organismes génétiquement modifiés dans la fabrication de produits alimentaires. Alors que le moratoire sur la culture de maïs OGM a été simplement annulé en France pour une simple question d’ordre juridique. Deux conceptions de l’agriculture et donc deux conceptions de la santé publique.

Le Salon de l’Agriculture est un rendez-vous important car il permet de maintenir le lien entre le producteur et le consommateur, qui prend conscience de la nécessité de privilégier le local sur le mondial. Ces produits de terroir ont fait l’apprentissage des goûts et des odorats, et ont participé à cet art culinaire typiquement français. Ce salon, c’est aussi le témoignage d’une agriculture enracinée qui se maintient face à une industrie agroalimentaire hors-sol. C’est l’occasion pour les consommateurs de témoigner de l’estime qu’ils portent à ces hommes et à ces femmes courageux qui demeurent mystiquement attachés à leur terre, façonnant les paysages harmonieux que sont les campagnes françaises. Sans eux, l’Histoire devient orpheline de ses pères, et égare le souvenir des ancêtres, vouant la société à une décadence irrémédiable. Montesquieu aimait les paysans car ils n’étaient pas assez savants pour raisonner de travers. Le monde paysan a au moins un avantage, il ne peut être régi par des théories, car il est soumis à la réalité. C’est peut-être la raison pour laquelle ils ont été systématiquement pourchassés par les pires systèmes totalitaires de l’histoire. Mais le système qui se met en place aujourd’hui est bien pire car il semble avoir décidé consciemment de leur disparition programmée. A une époque où les hommes ne savent plus trop pourquoi ils vivent, les paysans qui ne cèdent pas au désespoir, savent peut-être plus que les autres ce qu’ils sont prêts à défendre.