Quand Saint-Petersbourg devient Petrograd

Nous avons vu dernièrement, que la mobilisation générale décrétée par Nicolas II, avait été la cause de la Grande guerre de 1914-1918 qui avait mis le feu à l’Europe. Le bon tsar, conscient du drame qu’il avait déchaîné, avait commencé par signer le 24 juillet, une simple mobilisation partielle, sans en avertir la République française comme l’exigeait le traité franco-russe, mais il voulait reculer le plus possible l’échéance, espérant toujours que la raison prendrait le dessus. Il savait que la mobilisation générale c’était la guerre assurée, comme l’avait averti dès 1892 les signataires du traité Franco-Russe. Il tenta donc de résister aux va-t’en guerre qui voulait  à tout près la guerre pour imposer leur idéologie panslavisme. A leur tête Sazonov qui n’ignorait rien des conséquences, mais était aveuglé par sa haine contre les Autrichiens, le harcelait chaque jours avec ses complices du haut état-major de l’armée ayant à leur tête le grand duc Nicolas Nicolaïevitch, un général qui n’avait jamais connu le feu. Sous leur pression, sous la menace, Nicolas avait signé le décret fatal en murmurant consterné à Sazonov: « Pensez aux milliers et milliers d’hommes qui vont être envoyés à la mort. » Et pour être sur qu’il ne reviendrait pas en arrière, celui-ci avait fait couper le téléphone du Palais Alexandre. Au dernier moment, le tsar avait pourtant essayé une dernière tentative en faveur de la paix, en télégraphiant à son cousin Guillaume II pour essayer d’arrêter la course vers l’abime qu’il avait déclenché malgré lui. Guillaume lui répondit : «  C’est toi qui portes la responsabilité de la guerre ou de la paix … La paix peut être sauvée si tu consens à arrêter les préparatifs militaires menaçant l’Allemagne et l’Autriche. » Mais Nicolas ne pouvait plus rien faire. Il est devenu l’otage de ses ministres et du traité qui le liait aux revanchards français, qui avait besoin de l’armée russe pour l’aider à récupérer l’Alsace et la Lorraine, que Guillaume II était prêt à rendre à la France, aux pris de milliers de morts sacrifiés.
Dans les Russes étaient plutôt favorables à la guerre, remontés par la propagande des journalistes corrompus, l’idéologie slavophile et panslave, les jacobins de alliance franco-russe, qui se moquait comme d’une guigne de la Russie. Mais tout le monde ne partageait pas leur imprudence criminelle, à la Cour et ailleurs. Parmi ces personnalités lucides, deux esprits dominaient : son ancien premier ministre le comte de Witte et le moujik Raspoutine. Le premier voyait dans la folie meurtrière de la guerre, la fin du tsarisme. Il n’est pas le seul. Lénine partage la même vision des conséquences de la guerre, puisqu’en 1913, Il avait écrit à Gorki : « Une guerre entre la Russie et l’Autriche serait bénéfique pour la Révolution. Ainsi quand le conflit éclatera, il s’en réjouira et conseillera de tout faire « pour concourir à la défaite. »  Il trahira donc autant qu’il le pourra, la Russie, proposant aux autorités allemandes, « un programme d’action en sept points. »
Pour Raspoutine qui avait déjà prévenu le tsar en 1908 quand la Bosnie-Herzégovine avait été annexée par l’Autriche-Hongrie : « Les Balkans ne valent pas une guerre » disait-il. En juillet, 1914, de Sibérie, il écrivit au Tsar pour le mettre en garde : « Que Papa ne fasse pas la guerre ! La guerre signifie la fin de la Russie et de vous-mêmes. Vous périrez tous ! » Il précise qu’il a eu la vision de la Russie : Elle est toute noyée de sang. » Le staretz payera son pacifisme de sa vie deux ans plus tard, dans un complot soutenu par l’Angleterre.
A Saint-Pétersbourg, l’euphorie fut quasi générale dans la population. A la déclaration de guerre par Guillaune II,  le 1er août (19 juillet/ jul.), un Te Deum fut célébré au palais d’hiver, à l’issu duquel, le souverain s’adressa à ceux qui étaient rassemblés pour l’événement, puis il vint saluer son peuple rassemblé sur la place du Palais. Le lendemain, ce fut toute une foule qui envahit le centre-ville, en promenant des icônes, de l’ambassade de Serbie à l’ambassade de France. Devant la cathédrale Notre-Dame de Kazan, au milieu de la perspective Nevsky, la foule s’arrêta et pria. C’était encore les « Nuits blanches ». A la faveur de la clarté nocturne, des milliers d’entre eux poursuivirent jusqu’à la place Saint-Isaac pour attaquer l’ambassade d’Allemagne, pillant sur son passage sur la perspective Nevsyky, les locaux de la Petersbuger Zeitung et le café Reuter. Un mois après le début de la guerre, croyant faire un geste démagogique, Nicolas débaptisa Saint-Pétersbourg pour lui donner le nom déchristianisé de Pétrograd, plus sensible à la classe dominante des bourgeois patriotes, sinistre présage des années sanglantes à venir en février et en octobre 1917. En fait, Nicolas se trompait. En tentant de faire disparaître Saint-Pétersbourg, il l’exaltait. Même les terroristes bolcheviques s’insurgèrent contre cet état de fait, et des la révolution de février, demandèrent qu’on rende son nom à la ville, Trotsky/Bronstein déclarant qu’elle avait accompli la dite révolution « toute seule (…) le reste du pays n’ayant fait que suivre ».