Rechercher la vérité à l’abri des intérêts de domination

A quoi servent les sommets internationaux ? Ces derniers temps, ils se multiplient selon les problèmes qui ne cessent de se globaliser. Si, pendant longtemps, ils furent la prérogative des diplomates, il n’est aujourd’hui pas une corporation qui ne dispose de sa rencontre mondiale. Est-ce donc un simple effet de mode ou la nécessité de répondre à une urgence commune qui imposerait le consensus universel comme la seule sortie de crise possible désormais ? Au-delà des grandes idées et des grandes causes, l’observateur extérieur peut légitimement s’interroger sur ces consortiums coûteux et peu productifs, parfois uniquement dévolus au spectacle. Ainsi de la récente Conférence mondiale des Nations unies sur le développement durable, qui s’est tenue du 20 au 22 juin 2012 à Rio. Il est de notoriété publique que cette conférence était un échec annoncé. D’ailleurs, le discours de clôture avait été rédigé et approuvé avant même la tenue de la dite conférence. C’est donc avec un esprit pour le moins critique que j’abordais, cette fois en tant que participant, le deuxième Sommet mondial des Media. IId World Media Summit 2012 Deux jours d’interventions, de discussions, même de débats, étaient au programme de cet événement organisé par l’agence Itar-Tass à Moscou du 4 au 7 juillet dernier. Le problème posé était clair : tenter d’apporter des éléments de réponses aux défis que rencontraient les media en ce début de XXIe siècle. Heureusement, cette approche généraliste était affinée par des sessions de travail aux thèmes plus précis. Notons parmi ceux-ci l’importance sans cesse accrue des réseaux sociaux et de l’Internet en général. Y a-t-il une véritable diversité de modèles proposée par les nouveaux media électroniques ou un monopole universel de l’information ? Sont-ils des outils permettant à chaque élément de la société de participer à l’information ou une méthode efficace pour contrôler les masses ?La révolution technologique que représente Internet est souvent comparée au bouleversement qui a succédé la naissance de l’imprimerie. Il est vrai qu’avec la multiplication des matériaux numériques, l’interconnexion renforcée des logiciels et des instruments entre eux, nos modes de vie évoluent imperceptiblement mais sûrement. Les prothèses technologiques qui nous accompagnent quotidiennement et partout influent à terme sur notre manière de percevoir l’information, voire de la créer et de la transmettre. Le Vice-Président de l’Associated Press, John Joseph Daniszewski, n’a pas hésité à parler en session plénière de la propagation de la gamme des outils fournis par Apple, de l’Iphone à l’Ipad, et des changements globaux que cela provoque. Comment un simple téléphone peut-il devenir à la fois un serviteur efficace du journaliste et aussi son pire ennemi, l’incarnation de sa mort annoncée ? Un journaliste turc, Nihat Dagdelen, n’hésitait pas à renchérir en apportant un témoignage de terrain : privé de matériel en plein cœur d’une Anatolie prise sous les inondations, il n’avait pu prendre ses photos, recueillir les avis des autochtones et les envoyer à sa rédaction en urgence qu’au secours de son Iphone. Inversement, la possibilité offerte à ce journaliste s’est généralisée à l’ensemble des propriétaires de ces micro-machines, plus véloces que les télex d’antan. Ainsi la particularité du journaliste s’efface au profit d’une multitude anonyme qui s’empare du domaine de l’information et en chasse de fait ses anciens propriétaires.A ce changement technologique se superpose l’essor extraordinaire des réseaux sociaux, à commencer par Facebook et Twitter. Comme l’a rappelé, en session particulière sur les media électroniques, le Président du Club suisse de la presse Guy Mettan, le tweet et ses 140 signes peuvent provoquer aujourd’hui un scandale politique d’une ampleur et d’une immédiateté à faire pâlir les éditorialistes du siècle dernier. Cette allusion à l’affaire Trierweiler/Royal est en effet une bonne illustration de la main-mise de ces media communautaires sur l’information. Toutefois, ne parle-t-on pas d’un simple effet déjà passé ? Aux Etats-Unis, l’acteur Ashton Kutcher, réputé pour être le roi du tweet avec ses millions de followers, s’est désintéressé du jour au lendemain du micro-blogging alors même que quelques années auparavant il avait organisé des actions spectaculaires contre les media traditionnels pour promouvoir Twitter comme nouveau portail de l’info immédiate et transparente. De même avec Facebook, dont l’action désormais côtée ne cesse de choir, n’assiste-t-on pas déjà au chant du cygne d’une entreprise révolutionnaire mais éphémère ? Les réseaux sociaux représentent-ils la fin des media tels qu’on les a connus jusqu’à présent, c’est-à-dire monopolisateurs, sûrs d’eux-mêmes et intransigeants ? Sans doute, et ce n’est pas le moindre des aspects positifs apportés par l’évolution technique. Il est certain qu’ils remettent aussi en cause un modèle économique qui, crise aidant, ne peut plus perdurer. Résultat, les journalistes eux-mêmes deviennent les premiers utilisateurs et les plus fervents propagateurs de ce qui circule sur le net. Le terrain devient virtuel, la vérification des données et le recoupement des sources aussi. Après avoir choisi la solution de la facilité, celle qui limitait le travail d’analyse et de recherche de l’information et qui réduisait considérablement les effectifs et les coûts, les media traditionnels et leurs propriétaires s’aperçoivent qu’ils ont favorisé leur propre disparition. A moins que le défi soit relevé et que les journalistes retrouvent le sens profond de leur profession, loin des manipulations et de l’idéologie dominante. Dans ce contexte, les réseaux sociaux, dont personne ne s’est interrogé sur les propriétaires, abandonneraient rapidement leur statut surfait de source d’information. Ils retrouveraient leur utilisation de caisses de résonance, mais serviraient aussi de garde-fou à ceux qui seraient tentés par l’affabulation ou la tromperie. Cela semble bien utopique mais il est de convenance dans ce type de sommet de finir sur une note positive à défaut de prendre des mesures concrètes. Il faut néanmoins préciser que tel n’était pas l’objet de cette rencontre internationale. Objectivement, il est impossible de fédérer en deux jours les opinions de trois cents personnes venues des cinq continents. Réunir autant de participants, de nationalités si diverses, peut apparaître comme une gageure que l’agence Itar-Tass aura sû relever avec brio. L’organisation logistique aussi bien que l’agencement des interventions a montré qu’il était possible de faire entendre des voix différentes dans le concert des nations tournées vers l’avenir d’un monde multipolaire comme l’a souligné le Président de l’agence chinoise Xinhua, M. Congjun Li. L’un des intérêts de ce deuxième Sommet des media a été de fournir une tribune à des entités et des représentants qui, soyons clairs, n’auraient peut-être pas pu s’exprimer en Occident. En effet, la délégation nord-coréenne a non seulement pu présenter son avis publiquement, mais aussi entamer pour la première fois une discussion sur d’éventuels accords avec ses homologues du Sud. De la même manière les journalistes iraniens ont pu répondre précisément aux attaques suffisantes du directeur des informations mondiales de la BBC, Peter Horrocks. Ahmed Al-Hobishi, seul représentant yéménite présent, n’a pas non plus hésiter à prendre la parole pour dénoncer le traitement pour le moins partial des évènements qui se déroulent actuellement en Syrie et la condamnation unilatérale par la presse « mondiale » de Bachar Al-Assad. A ces voix dissonantes qui avaient toutes la particularité de ne pas s’exprimer en anglais, se sont ajoutées celles des journalistes de pays oubliés, ignorés ou méprisés par la reconnaissance internationale.Si tout le monde garde un vague souvenir de la guerre russo-géorgienne d’août 2008 à cause des gesticulations du Président Sarkozy qui avait voulu en tant que représentant de l’Union européenne et de la France « s’interposer entre l’ogre russe et le faible Géorgien » ; le discours sincère de Zalina Ckhovrebova a permis de rétablir certaines vérités. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une guerre qui a duré une semaine, mais d’une situation de conflit qui existe depuis plus de vingt ans. Ensuite, la directrice du journal South Ossetia a rappelé le traitement réservé aux minorités abkhazes et ossètes par le président géorgien Saakachvili, largement soutenu et financé par les Américains. Si l’intervention russe et des forces de maintien de la paix de la CEI n’avaient eu lieu, il est certain que la disparition progressive de ces peuples à l’époque sans Etat aurait pris une courbe irrémédiable. Ironie géographique, l’ambassade d’Ossétie du Sud côtoie à Moscou celle de la France, qui ne reconnait toujours pas ce pays et son voisin abkhaze alors qu’elle s’était empressée de le faire pour le Kosovo. Indéniablement, ce Sommet de Moscou restera comme celui de la multipolarité. A propos, la faible présence de journalistes occidentaux reflète d’une part un profond mépris et une incompréhension dangereuse pour la communauté médiatique non-occidentale, d’autre part elle scelle la fin d’une hégémonie aussi prétentieuse qu’obsolète. Ce fut le grand non-dit des discours qui le suggérait tous, de l’Afrique francophone à l’Amérique latine.Le grand défi des media n’est pas tant technique ou financier. Il est dans la diversité des opinions et la recherche de la vérité à l’abri des intérêts de domination. C’est donc dans ce contexte que l’Agence2Presse envisage son travail et son développement, à l’aide des outils alternatifs fournis par la technique, pour briser la chape qui pèse sur l’information globale. Joseph-Marie JolyDirecteur-adjoint de l’Agence2Presse