Le Cuirassé Potemkine

Le Cuirassé « Potemkine »est un film de commande. En effet, la Commission d’État commande un film à Serguei Mikhailovich Eisenstein pour commémorer le vingtième anniversaire de la Révolution de 1905. C’est donc une œuvre didactique mais le réalisateur a gardé une grande liberté de création artistique pour évoquer le sujet. L’État soviétique décida de se servir du cinéma comme instrument de propagande mais les cinéastes, durant la période de la Nouvelle politique économique (période d’assouplissement économique et politique engagée par Lénine), purent produire des films qui ne suivaient pas à la lettre la ligne du Parti communiste. Eisenstein, qui avait réalisé l’année précédente un long métrage très remarqué,La Grève, eut quatre mois pour tourner et monter le film. Il réduisit donc son scénario de départ, copieuse «monographie d’une époque» écrite en collaboration avec Nina Agadjanova, en centrant l’action sur un épisode et un seul : la mutinerie des matelots d’un navire de guerre en mer Noire, près du port d’Odessa, le 27 juin 1905.

Après La Grève, sorti l’année précédente, Eisenstein continue d’expérimenter ses théories sur le montage. À l’origine, démarche de propagande, comme tous les films soviétiques de la période, le film a rencontré un énorme succès en Union soviétique et a marqué l’histoire du cinéma par ses inventions et qualités techniques ainsi que par le souffle épique insufflé par Eisenstein.
Plusieurs versions sonores ont été superposées aux images muettes d’Eisenstein. Elles sont le fait de Dmitri Chostakovitch, Nikolaï Krioukov dans la version soviétique restaurée de 1976, et Edmund Meisel. C’est cette dernière qui fut originellement utilisée. Eisenstein arrêta cependant sa participation avec Meisel du jour où une représentation à Londres – avec un rythme plus vif prodigué par Meisel – fit, à un moment donné, rire la salle entière. C’est alors que l’on se rend compte de l’importance de la concordance – ou non-concordance – entre image et son.
Une « nouvelle version » a été montrée au Festival du film de Berlin. Elle y inclut notamment des intertitres reprenant des discours de Trotsky, retirés déjà à l’époque, celui-ci ne faisant pas partie du panthéon officiel du communisme voulu par Staline.
Le génie du montage est aussi son défaut. Eisenstein, qui s’était « fait la main » en remontant des films occidentaux, assimile la puissance du montage à celle du discours. Aujourd’hui, on voit ce montage de façon fragmentaire : il a été retouché de nombreuses fois, à des fins de propagande par le régime soviétique.