Les Poupées russes, symbole depuis le 19ème siècle de la culture et du savoir-faire russe

Au dernier salon du livre Russe, un auteur avait décoré sa table, de deux magnifiques poupées russes qu’il avait lui-même réalisées. Rien d’étonnant à cela, en effet, s’il y a bien un symbole d’identité nationale de la Russie, au même titre que le drapeau tricolore et l’aigle bicéphale, ce sont bien ces célèbres matriochkas. Lors de la grande exposition nationale russe, organisée en 2010 par la Fédération de Russie au Grand Palais à Paris, le principal décor était un cercle de poupées russes géantes qui accueillaient dès l’entrée, les visiteurs. Cette assimilation entre la poupée et la Russie est tellement courante qu’on pourrait la croire ancienne et cependant il n’en est rien. La matriochka ne date que de la fin du XIXe siècle. Elle est sortie en 1891, de l’imagination de Serge Malioutine, peintre dans les ateliers d’art populaire de Sava Mamontov à Abramtsevo.

L’idée lui est venue à la suite d’un voyage au Japon, où la tradition des séries de poupées de bois était très répandue au cours du XIX siècle, chaque poupée ayant sa signification particulière. Alors qu’il admirait une de ces séries représentant les Sept divinités du bonheur, il imagina d’adapter l’idée à la culture populaire de son pays. Ainsi naquit la première matriochka, dont le nom était dérivé du prénom féminin Matriona, alors assez répandu dans les campagnes russes du XIX et du XX siècle. On parle aussi parfois de poupée gigogne, en référence à la marionnette de la Mère Gigogne, qui représente une grande et forte femme entourée d’enfants
Ainsi s’explique la représentation traditionnelle de l’objet qui prend l’aspect d’une femme de la campagne, plutôt ronde et robuste, habituellement revêtue du traditionnel sarafan, la robe rustique et pratique des campagnes, avec un châle de laine chaud et confortable.
Le modèle extérieur de ces poupées gigognes représente la mère ou matriochka, les autres ses enfants, de la plus grande à la plus petite fille, cette dernière figurant parfois un nouveau-né.

De forme cylindrique, la poupée est creuse et coupée en deux parties en son milieu. Héritière de la poupée japonaise, la poupée russe s’en distingue toutefois du fait qu’elle est composée d’une série où les éléments sont imbriqués les uns dans les autres. Ce concept d’objet emboîté n’était pas neuf en Russie, puisqu’il était déjà utilisé pour des œufs de Pâques et pour des pommes en bois. En 1885, le premier œuf de Fabergé, renfermait un jaune, lui-même contenant une poule.

Une fois son projet dessiné, Malioutine en confia la réalisation à Vassily Zvezdotchkine, sculpteur dans un magasin de jouets en bois de la ville de Sergiev Possad. Les personnages peints par Malioutine étaient alors au nombre de huit, filles et garçons alternant, le dernier étant un bébé langé.

Les Russes étaient depuis longtemps passés maîtres dans l’art de tourner le bois, mais cette fois la réalisation s’avérait d’autant plus délicate que les deux parties devaient totalement coïncider. Or le bois est par nature un matériau instable, il convenait alors de trouver l’essence la plus apte à contourner cette difficulté. Sergeï Malioutine et son sculpteur choisirent donc le tilleul, à la fois tendre, économique, et séchant rapidement. Il est parfois remplacé par le bouleau. Pour répondre à ce qu’on attendait de lui, le bois devait être choisi dans un même tronc, afin que les deux parties sèchent dans les mêmes conditions. La réalisation de ce prototype allait s’avérer délicate, chacune des deux parties devant être parfaitement ajustée, ni trop lâche ni trop serrée.

En 1900, la femme de Sava Mamontova, présenta les nouvelles poupées à l’Exposition Universelle de Paris où elles remportèrent une médaille de bronze. Très vite, de nombreuses régions de Russie se mirent à élaborer divers styles de matriochka. Ainsi peut-on aujourd’hui signaler des styles particuliers pour les régions de Serguiev Possad, Sémionovo, Polkholvsky, Maidon et Kirov. Depuis, on a pris aussi l’habitude de décorer les poupées russes, par des séries de personnalités, politiques, sportives, ou fantaisistes. Durant la Perestroïka, furent ainsi représentés les dirigeants soviétiques avec par ordre décroissant, Mikhaïl Gorbatchev, Léonide Brejnev, Nikita Kroutchev, Staline et Lénine. Iouri Andropov et Constantin Tchernenko n’apparaissant presque jamais à cause de la brièveté de leur mandat. Plus récemment on a commencé des séries du même genre avec comme poupée de tête, Vladimir Poutine ou Dimitri Medvedev.